Jocelyne D.

Comme je suis passé régulièrement à la Maison de la culture ce mois de novembre, j’ai remarqué qu’un groupe de dames d’origines diverses s’y rassemble les samedis pour tricoter. Je les ai approchées afin de faire un portrait d’elles à l’œuvre et de trouver une brave qui accepterait d’affronter l’objectif photographique seule. C’est Jocelyne qui fut désignée.

Il se trouve que c’est l’animatrice de ce groupe informel qui ne requiert aucune inscription ni déboursé de la part des participantes. Jocelyne s’était initialement présentée à cette activité de loisir inscrite au programme du Café de Da. Au grand désarroi des tricoteuses, la personne qui dirigeait l’atelier annonça à la séance suivante qu’elle en était à sa dernière journée de travail et qu’il n’y avait personne pour la remplacer. Comme Jocelyne était la plus expérimentée en tricot dans le groupe, elle en devint de facto la nouvelle animatrice bénévole. Depuis près d’un an, les dames se revoient chaque samedi. Elles collent quelques tables ensemble selon le nombre de participantes, qui varie de quatre à douze. Une vingtaine de visages sont passés autour de la table pendant cette période.

Jocelyne a toujours habité à Montréal, à l’exception d’un séjour d’un an à la campagne qui lui a confirmé qu’elle était une fille de la ville. Elle habitait jusqu’à récemment Ahuntsic. Elle a cédé l’an dernier son bas de duplex à sa fille et à ses petits enfants qui ont besoin de plus d’espace qu’elle et habite depuis un condo pas très loin dans Villeray.

Au fil de la conversation, j’ai appris qu’elle a enseigné le cinéma pendant une trentaine d’années principalement au Cégep St-Laurent, mais aussi au niveau universitaire. Elle a enseigné pratiquement tous les cours, de la photographie à la réalisation, en passant par le montage et le laboratoire photo. C’est ce qui explique qu’elle me regardait évoluer avec mon appareil avec un air critique.

Au fil des années, elle a collaboré à diverses activités comme une foire du livre féministe, puis à Silence, Elles tournent, un festival compétitif de film et vidéo de femmes. Tristement, elle était présidente de l’organisme au moment où il a dû se saborder à la suite d’importantes coupures à son financement public.

Jugeant qu’elle avait fait sa part comme enseignante après toutes ces années, elle décida de prendre sa retraite le jour de ses soixante ans, plutôt qu’à la fin d’une session. Elle m’a raconté que le jour dit, elle se présenta au Cégep avec une bouteille de champagne à la main et servit un verre à tous les gens autour d’elle à sa santé! Au cours des années suivantes, elle a écrit un manuel pratique sur la logistique du tournage cinématographique. Avis aux éditeurs intéressés : il est toujours inédit. Par la suite, elle a consacré beaucoup de temps à la famille et aux petits enfants.

Maintenant, elle souhaite prendre plus de temps pour elle-même. Le tricot est pour elle une forme de yoga, sa pratique laissant l’esprit libre. Tout de même, le groupe fait œuvre utile. Leurs travaux de l’automne seront vendus par les Sœurs de la Providence qui achèteront avec l'argent obtenu par la vente des articles qu’elles ont tricoté de la nouvelle laine. Leur espoir est que la plus-value ajoutée à la laine par leur travail leur permettra de faire tricoter plus d'items pour les gens qu'elles aident.

Je ferais tout de même attention à ces dames tranquilles. Y aurait-il parmi elles des Yarn Bombers, ces adeptes du tricot-graffiti qui habillent les arbres et le mobilier urbain de leurs œuvres?

Jocelyne au Café de Da

Jean-Pierre G. & Thérèse M.

Certaines de mes rencontres de cet été ont été fort brèves et quelque peu fébriles, celle où Ginette me fait ses yeux de Têtes-à-claques par exemple. D’autres rencontres ont pris plus de temps et ont demandé de se revoir. Elles ont généralement donné des conversations plus approfondies. Ce fut le cas avec Jean-Pierre et Thérèse.

Je les ai d’abord croisés brièvement à la Place de l’engagement au Parc Pilon de Montréal-Nord. Nous avons repris contact quelques semaines plus tard et, à leur invitation, j’ai assisté au déjeuner mensuel de la section Montréal-Nord de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR-MN). Non seulement un bon nombre de retraités locaux assistait à cet événement, mais le maire, une conseillère municipale et l’adjointe d’une députée provinciale y sont passés pour serrer des mains. Le programme était chargé ce jour-là. Jean-Pierre, qui a déjà fait partie de l’exécutif, disposait de quelques minutes pour inviter les convives à une rencontre  « croissants/café » avec des gens de la compagnie théâtrale Dulcinée Langfelder. Dans le cadre de la tournée du spectacle Victoria, Mme Langfelder entend présenter sa démarche créative et encourager la participation aux ateliers sur l’Alzheimer et le rôle des aidants et intervenants.

Le couple s’est connu à St-Donat. Thérèse, native de Joliette, était alors membre de la communauté des Sœurs du Bon Pasteur d’Anger et travaillait à un camp d’été pour jeunes femmes en situation difficile. C’est lors d’une sortie du groupe qu’ils ont fait connaissance. À l’époque, Jean-Pierre, qui est originaire de Montréal, travaillait pour la compagnie d’assurance Les Prévoyants du Canada. Il y est demeuré 39 ans au fil des changements de propriétaires et de raisons sociales. A la suite de sa sortie des ordres et de la laïcisation des services sociaux au tournant des années soixante-dix, Thérèse a œuvré comme travailleuse sociale.

C’est leur foi commune qui les a tout d’abord amenés à faire du bénévolat au sein de la paroisse St-Rémi. Résidents de longue date de Montréal-Nord, ils y habitent une modeste demeure d’après-guerre construite à la fin des années quarante. Comme ils avaient à l’esprit l’entraide sociale, ils ont aussi participé au Mouvement des travailleurs chrétiens. Jean-Pierre, qui a la parole facile et ne craint pas de s’exprimer publiquement, a souvent pris les devants socialement. Les conjoints sont cependant demeurés solidaires dans tous leurs engagements.

Jean-Pierre a d’ailleurs un message pour les gens qui affirment qu’ils feront du bénévolat à leur retraite : commencez jeunes! Ce type d’activité demande une certaine forme de culture qui s’acquiert avec la pratique. Tous les retraités n’auront pas cependant un horaire comme le leur : ils travaillent comme bénévoles pratiquement à temps plein depuis leurs retraites simultanées!

Un de leurs engagements importants est arrivé à la suite d’un appel de la directrice de Radio Ville-Marie, un organisme alors à ses débuts. Elle avait entendu parler de Jean-Pierre et de ses activités sociales. Cet appel l’a amené à animer trois séries d’émissions radiophoniques sur une période de trois ans : Foi en mouvement, Témoins et bâtisseurs ainsi que Les pas de la sagesse. Le couple consacrait ses semaines à la recherche, à la préparation, aux entrevues et à l’enregistrement des émissions. J’ai appris à ma grande surprise que ces émissions étaient préenregistrées avec l’aide d’un seul technicien dans un petit local du presbytère de l’église St-Benoit, rue Fleury Ouest. Cette église de style moderniste est connue depuis 2009 comme l’Église de Dieu de la Prophétie de Montréal Nord-Ouest.

Parmi les belles rencontres faites dans le cadre de ses activités bénévoles, Jean-Pierre retient celles avec Yves Lapierre du Mouvement des travailleurs et avec Claude Émond, qui fut pendant 27 ans l’accompagnateur musical de Fernand Gignac et devint leur ami personnel. M. Émond est décédé en 2013.

Après cette période, ils ont fait la rencontre d’un jeune homme, François Boucher, qui militait pour l’environnement et trouvait inconcevable que Montréal-Nord soit un des rares arrondissements de Montréal à ne pas être doté d’un Éco-Quartier. Avec un groupe de 6 ou 7 personnes, Jean-Pierre et Thérèse ont donc fondé Éconord en 2009, un organisme à but non lucratif qui a, dans un premier temps, monté un programme et amassé les fonds nécessaires afin que des jeunes gens puissent obtenir des salaires pour s’occuper de projets environnementaux dans Montréal-Nord. C’est ainsi que cet OBNL initialement dirigé par Jean-Pierre est devenu mandataire de l’Éco Quartier local.  Ayant comme devise « l'environnement... une richesse qu'il faut protéger! », il avait pour mission d'améliorer la qualité de vie urbaine des Nord-Montréalais-es et de promouvoir une société écologique.

Le couple est toujours membre de cet organisme qui s’est transformé en coopérative de solidarité en 2014. Une bonne partie de ses activités courantes vise à améliorer l’accès à des légumes frais et sains, à des prix abordables pour des ménages à revenus modestes. Des marchés publics, des plantations de semis en mini-serre et la tenue d'un jardin collectif font partie des initiatives récentes des membres bénévoles d'Éconord.

En plus de tout cela, Jean-Pierre et Thérèse fréquentent régulièrement les activités de la maison Culturelle et Communautaire de Montréal-Nord et assistent à des spectacles dans les Maisons de la culture des arrondissements limitrophes.

Voilà des gens qui n’ont pas le temps de s’ennuyer!

Jean-Pierre et Thérèse à la Place de l'Engagement, au Parc Pilo de Montréal-Nord

Ericka A.

Ericka a pris connaissance de QuartiersNord sur la page Facebook de mon fils Mikaël rencontré lors d’une conférence de XX-MTL sur la place et la représentation des femmes dans les médias. Lorsqu’elle est arrivée au lieu de notre rendez-vous, le Bar Vintage rue Fleury ouest, elle m’a reconnu. Nous avions passé une soirée pratiquement côte-à-côte sans réellement nous présenter lors d’un spectacle de Wyclef Jean. Arrivés tôt pour avoir de bonnes places nous avions échangés quelques propos et j’avais remarqué qu’un groupe de gens tous socialement engagés s’était peu à peu formé autour de cette dame très sociable.

Ericka est née en Estrie et a grandi à Sherbrooke. Ses parents originaires d’Haiti s’étaient établis dans la région à la suggestion de québécois connus dans leur pays natal. Selon elle, grandir dans ce milieu a été une excellente chose. Par contre, ses parents y ont au début connus le regard inquiet des voisins qui n’avaient jamais côtoyés de membre de la communauté noire. Avec le temps, de fortes affinités avec certains de ces voisins se sont développées. Son père, cuisinier de métier, y a bien contribué en s’impliquant dans les fêtes de quartier et les conseils scolaires. Les gens du quartier se souviennent encore de l’année où il avait remplacé les habituels hot-dogs du pique-nique de la St-Jean-Baptiste par de la lasagne pour tout le monde!

Ericka a connu une enfance où le bonheur et le malheur se sont emmêlés. La maladie a emporté sa mère alors qu’elle n’avait que 10 ans. Elle dû alors être plus qu’une grande sœur pour son jeune frère. Son père, qui s’est admirablement occupé des deux jeunes et a veillé sur leur parcours scolaire, a lui aussi été terrassé par la maladie lorsqu’elle était au tournant de la vingtaine.

Elle est alors partie pour Montréal ou elle a tout d’abords cohabité avec quatre filles dans le Plateau et a entamé des études à Concordia en science politique. Elle a travaillé quelques années chez Jacob puis au Y des Femmes et contribué à l’organisme « Mon projet d’Affaire », un centre de formation et de coaching en entrepreneuriat pour femmes.  Elle a assumé bénévolement quelques années la co-présidence de Générations d’idées, un groupe qui encourage les regards nouveaux sur les enjeux de société et l’expression de la diversité d’idées afin de donner une voie à la génération montante. Elle a aussi contribué à un organisme de soutien aux personnes atteinte du VIH-Sida. Le bénévolat estpour elle une partie fondamentale de sa vie.

Comme d’autres avant, elle croyait qu’il n’y avait pas beaucoup de signe de vie au nord de la 40 lorsqu’elle a été embauchée au Centre Jeunesse Emploi Ahuntsic Bordeaux Cartierville. Elle a depuis changé d’idée. Le Bar vintage est d’ailleurs un des coups de foudre de cette fille qui fréquente beaucoup bars et restos, un peu avec le souvenir de son père œuvrant dans ce milieu.

Comme elle préfère l’action à la théorie, elle a repris des études à temps partiel en Gestion philanthropique. Elle adore contribuer au succès des autres et m’a parlé avec émotion de deux jeunes étudiantes du collège Ste-Marceline et de leur projetMardi sans maquillage, un mouvement pour promouvoir l'estime de soi, la confiance et la fierté. Ce sont des valeurs qui correspondent bien à celle d’Ericka!

Ericka et Jean-Maxime sur la terrasse du 132 Bar Vintage