Raphaël R. + Raphaëlle D.

Les jeunes gens que je vous présente cette fois-ci ne m’étaient pas inconnus. En fait, Raphaël est le fils d’un ami de souche portugaise que j’ai rencontré alors que nous étions tous deux étudiants en Art en l’UQAM. Nous étions tous deux de jeunes pères, ce qui nous distinguait des autres étudiants. La première fois que j’ai vu Raphaël, il devait avoir au plus deux ans. Il s’entendait d’ailleurs fort bien avec mon fils Mikaël quand nos deux familles se rencontraient. Plus tard, je l’ai un peu perdu de vue pendant une douzaine d’années, son père aussi d’ailleurs.

La première fois que j’ai rencontré sa compagne Raphaëlle, ils habitaient dans le Plateau. Avec leurs deux fillettes, Livia et Flore, ils habitent maintenant le quartier Ahuntsic, où Raphaëlle a elle-même vécu à l’adolescence. C’est aussi au CÉGEP Bois-de-Boulogne que le couple s’est connu.

Les parents de Raphaël étant respectivement peintre et musicienne, vous serez sans doute étonnés d’apprendre qu’il a récemment soutenu sa thèse de doctorat en physique mathématique à l’Université de Montréal. J’ai d’ailleurs eu le plaisir et l’honneur d’assister à cet événement à l’invitation de son père. Selon la définition qu’en donne l’université « Les mathématiques constituent une science d’étude des quantités, des ordres, des espaces, des nombres et des figures ». J’en retiens que cette partie de son champ d’études laisse une certaine place à la pensée créative. Son parcours académique l’a même amené à collaborer avec des chercheurs à Rome, où il s’est rendu à deux reprises. Depuis quelques années, il enseigne les mathématiques au Collège Ahuntsic.

Pour sa part, Raphaëlle est aussi en voie de terminer un doctorat en gestion des ressources maritimes à l'UQAR (Institut des sciences de la mer, ISMER). Elle s’intéresse particulièrement à la gouvernance marine. Plus précisément, elle étudie la manière dont les décisions se prennent en lien avec la subsistance des communautés locales et leurs modes de vie traditionnels. Elle se questionne sur la participation des habitants dans les processus d’organisation du travail et la gestion des ressources, ainsi que sur la contribution, positive ou non, des gouvernements locaux et nationaux. Elle m’a ainsi parlé de la réalité des communautés côtières de l’Afrique de l’Ouest, ses études l’ayant amenée à faire deux stages au Cap-Vert. Elle revenait d’ailleurs de ce pays au moment de notre rencontre.

C’est par sa mère originaire de la France qu’elle s’est tout d’abord intéressée aux océans. La famille de sa mère possède une propriété acquise alors que le tourisme n’était pas encore développé à La Ciotat sur les bords de la Méditerranée. Enfant, elle a souvent fait de la plongée en apnée avec tuba, puis sous-marine près de cette maison où elle séjourne encore à l’occasion avec les siens.

La mère de Raphaëlle est arrivée au Québec à la fin des années soixante. Son père est Québécois. Ils se sont rencontrés dans des groupes de gauches et sont demeurée militants depuis cette époque. C’est d’ailleurs par des conversations avec son beau-père que Raphaël a peu à peu pris goût à l’action politique. Les deux hommes sont maintenant membres actifs de Québec Solidaire (QS). Raphaël a tout d’abord participé à des réunions de QS dans Mercier, puis il a pris part à des activités militantes dans cette circonscription qui a élu Amir Khadir comme député. Il fait aujourd’hui partie du comité de coordination de QS dans Crémazie et vient de participer au Conseil national de l’organisation. Il apprécie la dynamique entre les militants au sein du parti et m’a parlé avec une certaine admiration d’un de ses collègues, Bernard Gauvin. Ce monsieur est l’un des deux porte-parole de la contestation étudiante de Moncton en 1968 qui occupent une place centrale dans le film documentaire « L’Acadie, l’Acadie?!? » de Michel Brault et Pierre Perrault.

Si Raphaëlle soutient aussi ses positions et participe occasionnellement aux activités de Raphaël, elle n’a pas la même patience pour les activités de groupe. Elle n’en défend pas moins ses principes. Je l’ai ainsi déjà vue sur une tribune, en 2010, lors d’une manifestation contre les énergies sales alors que débutait à Montréal le Congrès Mondial de l’Énergie et que les grandes entreprises énergétiques mondiales se réunissaient pour pour multiplier les occasions d’affaire. Elle y défendait le point de vue d’Attention FragÎles, une OSBL qui contribue à la responsabilisation environnementale de la population des Îles-de-la-Madeleine, au nom de sa porte-parole officielle, qui ne pouvait pas être sur place.

Ils s’efforcent tous deux de mettre leurs convictions en pratique. Ils ont ainsi fait le choix de ne pas avoir d’auto et de se déplacer en vélo et en transport en commun. Sur la rue St-Denis, j’ai d’ailleurs croisé Raphaëlle qui allait chercher Flore dans un CPE du Plateau, car ils n’ont toujours pasobtenu de place dans un CPE local. Plus tôt cet été, alors que je sortais de ma rencontre avec Philipe et Christiane du Journaldesvoisins.com, j’ai aussi aperçu Raphaël et Livia, chacun sur leur vélo.

Il y a dans leur maison un violoncelle, une guitare et un piano. C’est Raphaëlle qui est la musicienne. Elle a suivi quelque temps des cours au conservatoire de Montréal, mais elle n’était pas prête à s’astreindre à la rigoureuse discipline de la musique classique. Un courant musical circule dans sa famille. Elle a même une tante et un oncle qui sont respectivement violoniste et violoncelliste du Quatuor Alcan.

Lorsque Raphaëlle aura terminé son doctorat, la petite famille se verra possiblement confrontée à un dilemme. Tout dépendra du type d’emploi que Raphaëlle décrochera. Montréal est une île, mais elle est bien loin de la mer!

Raphaël et Raphaëlle

Mathilde-Hasnae M.

En passant sur Henri-Bourassa vers l’est, j’avais vu du coin de l’œil dans le parc Pilon des structures aux charpentes vides. Leurs toitures étaient partiellement recouvertes de ce qui m’a paru être de la tôle récupérée de vieilles granges. À mon retour, je suis passé par le parc. J’y ai lu une affiche annonçant pour trois samedi « le Marché du nord ».

Le samedi suivant, un petit marché était effectivement abrité par ces constructions éphémères. Il s’agit d’une première expérience qui devrait être renouvelée.

Il y avait aussi sur le même terrain sous de modestes chapiteaux de toiles une activité parallèle. Curieux de savoir de quoi il s’agissait, j’ai approché deux dames au kiosque de l’Accorderie de Montréal-Nord, Mathilde-Hasnae et Isabelle. Elles m’ont expliqué qu’il s’agissait de la Place de l’engagement, un regroupement annuel d’organismes communautaires qui coopèrent entre eux dans Montréal-Nord. Cet évènement s’est joint au Marché du Nord cette année afin d’éviter une dispersion des visiteurs potentiels. Comme elles étaient sur place pour rejoindre les gens, j’ai seulement pris le temps de faire quelques photos. Nous avons convenu que je rencontrerais Mathilde un autre jour aux bureaux de l’Accorderie dans l’Îlot Pelletier.

C’est donc un lundi en fin d’après-midi que Mathilde m’a reçu. Elle m’a d’abord fait visiter les bureaux de l’Accorderie et le local de son groupe d’achat alimentaire, puis le jardin collectif de l’ensemble résidentiel Îlot Pelletier.

Elle est née d’un père marocain et d’une mère française à Libourne, dans le sud-ouest de la France, près de Bordeaux. Elle a d’abord fait un bac en Géographie à Bordeaux, avec un stage à Plymouth dans le sud de l’Angleterre. En suivant ce programme, elle a constaté que c’était les questions de développement communautaire et de coopération internationale qui l’intéressaient le plus. Elle a donc fait à Paris une Maitrise en Développement local. Dans le cadre de ses études, elle a fait un stage au Maroc avec un organisme qui visant à favoriser la scolarisation des filles dans leur milieu, en trouvant les ressources pour contribuer à la construction des écoles où l’enseignement serait dispensé par des professeurs locaux.

C’est pour rejoindre son chum de l’époque, déjà arrivé à Montréal pour y faire ses études, qu’elle est arrivée ici il y a trois ans. C’est un peu aussi parce qu’elle constatait que ses amis et collègues d’études en France ne trouvaient dans le secteur communautaire que des boulots précaires. Arrivée ici avec un permis vacances-travail d’un an, elle a tout d’abord fait un stage de 5 mois à l’Union Française, où elle organisait des activités culturelles pour les nouveaux arrivants. Par la suite, elle a déniché son poste actuel d’animatrice à l’Accorderie, qui est tout à fait dans son champ de compétence. De programme en programme, il lui a été possible de continuer ses démarches d’immigration à partir de Montréal.

Même si, comme tous les immigrants, elle a par moments le mal du pays, elle croit être au Québec pour y rester. Elle aime bien les rapports entre les gens ici. Arrivée à Montréal en janvier, ce n’est pas l’hiver qui lui fait peur. Il faut dire que la neige est pour bien des gens plus agréable que la grisaille sombre et humide de Paris en janvier. Elle s’est d’ailleurs mise au ski de fond et à la raquette. Ce qu’elle aime moins du Québec, c’est l’esprit trop consensuel qui y règne, rendant difficile toute contestation. Elle trouve aussi inadmissibles les difficultés auxquelles il faut faire face ici pour rencontrer un médecin. Difficile de contester qu’il y a un problème majeur de ce côté.

Musicienne de cœur, elle a joué du saxophone plusieurs années et aime la musique soul. Aujourd’hui, elle participe avec enthousiasme à une chorale dans Villeray, « La clique vocale ». Cette chorale venait d’ailleurs tout récemment de chanter au souper-spectacle-bénéfice pour l’Accorderie de MontréalMercier-Hochelaga Maisonneuve.

À l’Accorderie, elle partage son temps entre Montréal-Nord et Hochelaga. Cet organisme vise à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Il met en place un réseau d’échange entre individus qui utilisent le temps comme valeur d’échange. Elle-même participante, Mathilde peut, par exemple, faire une heure de ménage chez une dame qui lui offrira en retour une heure de cours de chant. Les échanges ne sont pas nécessairement bilatéraux. Le système de pointage lui permettrait en effet de faire le ménage chez une autre personne, mais d’utiliser ses heures chez la prof de chant.

Parmi les activités de l’Accorderie, il y aussi des échanges collectifs, par exemple des groupes d’achat de produits alimentaires. Dans Hochelaga, il y a un programme de prêt d’ordinateurs portables.

Mathilde-Hasnae dans le jardin communautaire de l'Îlot Pelletier à Montréal-Nord