Ricardo U.

Par un beau vendredi, j’ai approché un groupe d’amis qui fraternisaient autour d’un barbecue dans le parc Henri-Julien, curieux de savoir ce qui les réunissait. On m’a suggéré alors de parler à Ricardo. Il anime une association réunissant des Salvadoriens originaires du village de San Vicente et leurs amis. À cette occasion, le groupe recevait des visiteurs de Boston, eux aussi originaires de San Vicente. Depuis plusieurs années, ces gens se rencontrent pour une partie de foot amicale. Une première partie avait eu lieu à Boston au début de l’été. La seconde se tenait le lendemain au parc Jarry. Il s’agit d’une tradition qui remonte à une partie jouée en 1997. Depuis une dizaine d’années, c’est devenu tout d’abord une rencontre annuelle, puis, ces dernières années, un aller-retour Montréal-Boston.

Une bonne partie des Montréalais de ce groupe rencontre aussi d’autres Latino-Américains les mardis et jeudis au parc Henri-Julien pour jouer au soccer. Ces rencontres à la bonne franquette ont commencé il y a une trentaine d’années.

Ricardo est parti du Salvador, seul, au début de la vingtaine. Arrivé au Québec au début des années 80, il a obtenu le statut de réfugié. Comme près d’un million de déplacés, il fuyait la guerre civile entre les forces d’extrême droite et les rebelles de la guérilla. Comme l’assassinat de l'archevêque Oscar Romero l’a démontré, nul n’était à l’abri entre ces deux camps. Le simple fait d’être dans la vingtaine pouvait vous faire associer aux révoltés.

Il avait appris le métier d’électricien au Salvador. Son bagage lui servit bien. Après s’être fait refuser l’accès aux examens donnant accès à la pratique de ce métier ici, Il compléta des cours techniques au CÉGEP et œuvra de nombreuses années comme technicien en contrôles et instrumentation. Il a aussi compléter un certificat en anglais.

Ricardo a deux enfants qui nés ici et sont aujourd’hui dans la jeune vingtaine. Un de ces frères l’a aussi rejoint à Montréal à la fin des années 80.

Je lui ai demandé si aujourd’hui le Salvador s’était pacifié et s’il songeait à y retourner vu son attachement manifeste aux gens du pays. Il m’a dit qu’il aime aussi le Québec et m’a rappelé que malgré le retour d’un certain niveau de démocratie, le pays demeure un des plus dangereux des Amériques. Le taux d’homicides y est très élevé depuis que des bandes criminelles violentes, les Maras Salvatruchas (MS-13) notamment, dictent leurs règles. Il y a des lois non écrites qu’il faut suivre pour assurer sa survie.

Conscient de ses racines et de la précarité de la vie des réfugiés, il offre, à titre privé, depuis une douzaine d’années un service d’assistance et de traduction aux nouveaux arrivants. Il loue pour un loyer modique un petit bureau au Centre Scalabrini pour réfugiés et immigrants. Il fait en plus du bénévolat pour cet organisme situé rue Sauriol Est. Des missionnaires scalabriniens y ont acheté l'église Sainte-Rita afin que le presbytère, le sous-sol et la salle paroissiale puissent être occupés par le Centre Scalabrini. L’église ne dessert plus une paroisse mais demeure un temple ouvert à la prière. Dix chambres y hébergent les immigrants les plus démunis.

Nous avons discuté brièvement de la vague d’immigrants qui cherche à quitter le Moyen-Orient pour se rendre en Europe. Ricardo constate qu’une bonne partie des gens qui ont payés des sommes importantes à des passeurs criminels organisés auraient volontairement déboursé ces mêmes sommes pour émigrer légalement en Occident si les portes leurs y étaient ouvertes. Ceux qui arrivent par milliers en ce moment en Europe ne sont pas tous sans ressources. Les  plus démunis demeurent malheureusement oubliés sur place et subissent sans recours les tirs et les bombardements. Dans les plans des fauteurs de guerres, il y a toujours des conséquences néfastes qui n’avaient aucunement été prévues.

Ricardo à son bureau

ÉlianeC.

C’est Éliane qui m’a interpelé alors que je déambulais rue D’Amos à Montréal-Nord par un magnifique vendredi. Elle prenait une pause à l’extérieur du Centre de Formation professionnelle Calixa-Lavallée entre deux cours en Infographie. Elle souhaitait savoir pourquoi j’avais pris des photos de son école. Je lui ai dit que je profitais simplement de la très belle lumière de ce midi de septembre qui illuminait la façade. La conversation étant entamée, je lui ai alors demandé si elle était disposée à ce que je prenne quelques photos d’elle.

Éliane loge en ce moment dans Ahuntsic, chez un oncle, pour la durée de ces études. À voir son look, on pourrait croire que c’est une fille tout à fait urbaine. Or, bien qu’elle soit née à St-Hubert, elle a passé la majeure partie de sa vie dans diverses localités des Laurentides et préfère nettement les lieux champêtres à la grande ville.

Intéressée par les arts visuels, elle a travaillé au centre d’exposition de Val-David. Elle avait d’ailleurs entamé un programme en Arts visuels au Cégep. Elle s’est cependant aperçue que ce n’était pas pour elle. Elle a aussi songé sérieusement à devenir tatoueuse et s’est équipée du matériel nécessaire pour s’y exercer. Quelques amis portent d’ailleurs la trace de ses essais sur leur peau. C’est finalement vers le graphisme qu’elle s’est tournée. Elle souhaite travailler à la fois pour le WEB et l’imprimé. Elle rêve d’ailleurs de voir une de ses créations sur un grand panneau réclame.

Je lui ai demandé s’il y avait des vedettes du milieu de la pub qui l’influençaient. Elle m’a dit qu’elle puisait son inspiration à des sources variées : des sites WEB, celui d’Urbania par exemple, mais aussi beaucoup auprès de ses professeurs. Elle a de bons mots pour ceux du Centre de formation. Dans l’ensemble, elle estime qu’ils ont une solide expérience professionnelle à partager avec les étudiants. Elle aime les entendre expliquer leur processus de création.

Éliane m’a décrit le sien : il lui faut un certain chaos artistique. Elle a besoin d’une période d’essais et de brassage d’idée pour qu’une direction et des images émergent. Elle est cependant confiante dans sa capacité de bien rendre un travail net et clair à la fin de ce processus.

Éliane envisage de devenir pigiste au terme de son Diplôme d’études professionnelles. La perspective de travailler à des projets diversifiés et de créer des images fortes qui sauront rapidement toucher et convaincre les gens l’intéresse fortement. Elle apprécie un certain aspect éphémère des images publicitaires. À bien y penser, c’est tout un changement par rapport aux tatouages, qui peuvent circuler bien longtemps!

À la fin de son programme, qui se terminera par un stage en entreprise, elle prévoit retourner à Ste-Agathe. Elle y vivra chez ses parents ou sa grand-mère le temps de se bâtir une clientèle. En attendant le retour dans un milieu plus verdoyant, c’est le Parc-nature de l'Île-de-la-Visitation qui est son oasis de verdure à Montréal. 

Éliane C. profitant de la pause du midi.

Ericka A.

Ericka a pris connaissance de QuartiersNord sur la page Facebook de mon fils Mikaël rencontré lors d’une conférence de XX-MTL sur la place et la représentation des femmes dans les médias. Lorsqu’elle est arrivée au lieu de notre rendez-vous, le Bar Vintage rue Fleury ouest, elle m’a reconnu. Nous avions passé une soirée pratiquement côte-à-côte sans réellement nous présenter lors d’un spectacle de Wyclef Jean. Arrivés tôt pour avoir de bonnes places nous avions échangés quelques propos et j’avais remarqué qu’un groupe de gens tous socialement engagés s’était peu à peu formé autour de cette dame très sociable.

Ericka est née en Estrie et a grandi à Sherbrooke. Ses parents originaires d’Haiti s’étaient établis dans la région à la suggestion de québécois connus dans leur pays natal. Selon elle, grandir dans ce milieu a été une excellente chose. Par contre, ses parents y ont au début connus le regard inquiet des voisins qui n’avaient jamais côtoyés de membre de la communauté noire. Avec le temps, de fortes affinités avec certains de ces voisins se sont développées. Son père, cuisinier de métier, y a bien contribué en s’impliquant dans les fêtes de quartier et les conseils scolaires. Les gens du quartier se souviennent encore de l’année où il avait remplacé les habituels hot-dogs du pique-nique de la St-Jean-Baptiste par de la lasagne pour tout le monde!

Ericka a connu une enfance où le bonheur et le malheur se sont emmêlés. La maladie a emporté sa mère alors qu’elle n’avait que 10 ans. Elle dû alors être plus qu’une grande sœur pour son jeune frère. Son père, qui s’est admirablement occupé des deux jeunes et a veillé sur leur parcours scolaire, a lui aussi été terrassé par la maladie lorsqu’elle était au tournant de la vingtaine.

Elle est alors partie pour Montréal ou elle a tout d’abords cohabité avec quatre filles dans le Plateau et a entamé des études à Concordia en science politique. Elle a travaillé quelques années chez Jacob puis au Y des Femmes et contribué à l’organisme « Mon projet d’Affaire », un centre de formation et de coaching en entrepreneuriat pour femmes.  Elle a assumé bénévolement quelques années la co-présidence de Générations d’idées, un groupe qui encourage les regards nouveaux sur les enjeux de société et l’expression de la diversité d’idées afin de donner une voie à la génération montante. Elle a aussi contribué à un organisme de soutien aux personnes atteinte du VIH-Sida. Le bénévolat estpour elle une partie fondamentale de sa vie.

Comme d’autres avant, elle croyait qu’il n’y avait pas beaucoup de signe de vie au nord de la 40 lorsqu’elle a été embauchée au Centre Jeunesse Emploi Ahuntsic Bordeaux Cartierville. Elle a depuis changé d’idée. Le Bar vintage est d’ailleurs un des coups de foudre de cette fille qui fréquente beaucoup bars et restos, un peu avec le souvenir de son père œuvrant dans ce milieu.

Comme elle préfère l’action à la théorie, elle a repris des études à temps partiel en Gestion philanthropique. Elle adore contribuer au succès des autres et m’a parlé avec émotion de deux jeunes étudiantes du collège Ste-Marceline et de leur projetMardi sans maquillage, un mouvement pour promouvoir l'estime de soi, la confiance et la fierté. Ce sont des valeurs qui correspondent bien à celle d’Ericka!

Ericka et Jean-Maxime sur la terrasse du 132 Bar Vintage

Aminata O.

Aminata et moi nous sommes rencontrés une première fois lors d’un barbecue chez des amis camerounais communs en banlieue il y a quelques semaines. C’est en la raccompagnant chez elle à la demande de notre hôte que j’ai appris qu’elle résidait dans le quartier Bordeaux depuis un an.

 Née en Côte d’Ivoire, Aminata, mieux connue sous le diminutif Amy, a fait de solides études en comptabilité à Abidjan. Encore toute jeune, elle a eu une première occasion de travailler à l’étranger lorsqu’un échange professionnel en France lui a été offert dans un cabinet de conseils international. Pendant ce stage, la famille lui manquait beaucoup et elle appelait régulièrement sa mère.  

De retour en Côte d’Ivoire, c’est le déclenchement de la crise nationale, qui la poussera à entreprendre des démarches d’immigration vers le Canada. La crise, qui s’aggrava encore en 2004, contribuera cependant à allonger les procédures qui mettront cinq ans à aboutir.  

L’arrivée à Montréal fut difficile. La reconnaissance de ses diplômes s’est étalée sur près d’un an. Consciente de ses capacités, elle ne souhaitait pas commencer au bas de l’échelle. Elle m’a même raconté que des personnes bien intentionnées dans un centre d’aide aux immigrants lui avaient suggéré de gommer l’essentiel de son C.V. afin de ne pas avoir l’air trop qualifiée. Cela revenait pour elle à mentir, en plus de se dévaluer.  

C’est par un détour en Alberta qu’elle réussit à se doter d’une première expérience professionnelle au pays. Les équivalences de ses diplômes lui furent accordées dans cette province en à peine un mois! À cause son attachement au Québec, elle y retourna cependant au bout d’un an. Un de ses frères l’a depuis rejointe à Montréal. Elle a encore une sœur et un autre frère en Côte d’Ivoire.  

Forte d’une meilleure connaissance de l’anglais et d’une expérience de travail canadienne, elle a pu faire son chemin ici. Travaillant comme comptable professionnelle, elle a occupé des postes de contrôleur et de vérificatrice comptable.  

Aminata aime par ailleurs pratiquer des activités artistiques, entre autres le dessin. Lorsque nous nous sommes donné rendez-vous pour la prise d’une photo dans le cadre de ce projet, elle portait d’ailleurs fièrement ce magnifique ensemble qu’elle a elle-même dessinée, mais fait confectionner en Côte d’Ivoire.

Aminata dans le Parc Marcelin-Wilson