Ibtissem T. & Hechmi K.

Par un samedi du mois d’août, j’ai noté qu’il y avait de grandes tentes et de l’animation dans le parc Henri-Julien. Ce parc étant, à ma connaissance, essentiellement fréquenté pour les activités sportives, je me suis dit qu’il devait s’agir d’un évènement lié aux sports.

À ma surprise, il s’agissait plutôt de la première édition du Festival du jasmin tunisien. Ne souhaitant pas braquer ma caméra sur la foule, j’ai cherché autour de moi une personne qui accepterait de me parler. J’ai vu une dame passer d’un pas énergique avec, au cou, sa carte d’identité. Le hasard a bien fait les choses. Il s’agissait d’Ibtissem, une des organisatrices du festival. J’ai rapidement pris quelques photos d’elle et ses coordonnées. Elle avait évidemment mille autres choses à faire ce jour-là.

Lorsqu’elle m’a recontacté quelques jours plus tard, elle m’a dit que la direction du Festival était un peu comme celle de Québec Solidaire : c’est-à-dire qu’elle a deux porte-paroles officiels. À la mi-septembre, ce sont donc les deux coprésidents, Ibtissem et Hechmi, que j’ai rencontrés dans un café de la rue Fleury

S’ils ont tous deux natifs de Tunisie, leurs parcours d’immigration diffèrent sensiblement. Ibtissem est née à Tunis, grande ville sur la Méditerranée et capitale de la Tunisie. Bien qu’elle y ait fait des études de niveau universitaire, elle a dû reprendre une partie de son parcours académique lorsqu’elle est arrivée ici avec son mari. Elle a complété un bac à l’UQAM et une maîtrise à McGill dans le secteur des biotechnologies et fait carrière depuis dans la recherche biopharmaceutique.

Hechmi, pour sa part, est arrivé au Canada comme boursier du gouvernement tunisien. Il  a complété une maitrise et un doctorat en télécommunications  à l’Institut de recherche scientifique (INRS).  Hechmi a fait carrière dans  l’industrie des télécommunications. Il est originaire de Tataouine, dans le sud du pays, aux limites du Sahara. Il m’a appris que cette ville était célèbre pour avoir fourni les décors naturels de la ville d’origine de Luke Skywalker dans les premiers films de la série Star Wars.

Avant d’animer le groupe qui a monté le Festival du Jasmin tunisien, ils ont créé l’Association des Tunisiens aux Amériques il y a un peu plus d’un an avec une poignée de personnes. La volonté commune de ce groupe est de célébrer les gains de la démocratie en Tunisie et d’aider à assurer leur permanence, tout en réunissant tous les Tunisiens de Montréal. Ibtissem m’a affirmé qu’une nouvelle page était tournée pour la diaspora tunisienne depuis les événements du printemps 2011. Un autre de leurs buts est de faire mieux connaitre la culture traditionnellement pacifique de ce pays aux gens d’ici.

Une des premières activités de l’Association a été la projection du film « Le conflit », une fiction sur les 23 ans du régime Ben Ali en Tunisie réalisée par Moncef Barbouch, un réalisateur exilé au Canada depuis de nombreuses années. Cette présentation à la Salle Émile-Legault dans l’Arrondissement de St-Laurent fut un succès encourageant.

Ce n’est qu’au mois de mars que le petit groupe a décidé d’organiser le Festival. Ils sont d’ailleurs reconnaissants envers l’équipe du Bureau des Festivals et des Évènements culturels de la Ville de Montréal, qui les a confortés dans l’idée que le projet était réalisable en si peu de temps et leur a proposé le Parc Henri-Julien pour sa taille et sa proximité d’une station de métro. Tout comme une belle brochette de commanditaires, la ville a aussi contribué financièrementà sa présentation.

Tenue le 29 août, cette première édition a connu un franc succès avec plus de 8 000 visiteurs. Mme Kathleen Weil, ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, ainsi que plusieurs politiciens locaux ont tenu à être présents.  Les organisateurs ont bien réussi à donner de la visibilité au festival et à aller chercher les ressources nécessaires. Comme ils ont tous des emplois très prenants, c’est un signe qu’ils sont bien ancrés dans la société montréalaise et qu’ils peuvent compter sur un solide réseau social.

De plus, ils ont su s’entourer de bénévoles recrutés autant chez les Tunisiens que les autres Maghrébins, ainsi que dans la communauté latino-américaine et chez les Québécois de souche. Il leur restait justement une rencontre importante pour bien conclure cette première édition : la soirée de reconnaissance des bénévoles.

Pour l’édition de l’an prochain, ils ont tous deux émis le souhait d’aller chercher un public diversifié, d’élargir le programme culturel en incluant,  par exemple, un volet en arts visuels.

Comme les membres du comité ne sont pas issus du milieu des arts, je vous laisse avec ce dernier souhait de leur part : le festival serait heureux de présenter en 2016 des groupes musicaux multiculturels ayant en leur sein un membre tunisien. Si vous connaissez de telles formations, dites-leur de se faire connaitre par l’équipe du Festival!

Ibtissem, à la gauche

Hechmi, à la droite

Miguel A.

Miguel  est l’âme dirigeante et l’un des fondateurs du Centre Scalabrini pour Réfugiés et Immigrants. Comme les gens qu’il aide aujourd’hui, il est arrivé au milieu des années 80 à Québec, dans le quartier St-Sacrement, comme réfugié. Ce n’était cependant pas son premier contact avec le Canada. Il avait participé à un programme d’échange étudiant parrainé par Jeunesse Canada Monde en 1975. Ce séjour de  6 mois lui avait fait connaitre Ottawa, Toronto et Drummondville.

Il est arrivé avec son épouse, enceinte d’un garçon qui naitra à Québec, et ses deux fils ainés. La première chose qu’il a dû faire en arrivant fut d’apprendre le français au COFI local. Ayant notamment été travailleur social au Salvador, il fut ensuite en mesure d’agir comme interprète de l’espagnol au français au bénéfice de nouveaux arrivants. S’intégrant bien à son milieu, il devint directeur du Centre Multiethnique de Québec, connu à l’époque comme la Fraternité Multiculturelle de Québec.

Pendant ce temps, d’autres membres de sa famille et de celle de son épouse les ont rejoints au Québec. Ils se sont cependant installés à Montréal. Miguel et sa famille les ont donc suivis ici. Provenant de la principale ville portuaire du Salvador, Acajutla, il avait de l’expérience dans le commerce et les questions douanières. Il se dénicha ici un emploi de directeur des importations au sein d’un organisme qui souhaitait développer le commerce de café équitable avec Haïti. L’entreprise ne subsista malheureusement pas longtemps. Après des études aux HEC, il travailla à la Confédération Desjardins en comptabilité pendant quelques années.

À la suite d’une restructuration qui lui coûta son poste, la famille fit un détour par Vancouver, où il travailla comme directeur du Hispanic Community Center. L’appel de la famille les ramena cependant tous à Montréal, au début des années 2000.

À son retour, il œuvra comme bénévole à l’église Notre-Dame de Pompéi sur Sauvé à l’intersection du boulevard St-Michel. Il y recevait initialement deux fois par semaine des réfugiés et immigrants hispaniques, haïtiens et africains qui demandaient de l’aide à la paroisse pour passer à travers les processus d’immigration. Les missionnaires scalabriniens, un ordre religieux fondé par Giovanni Baptista Scalabrini, père des migrants, ont constaté que les besoins grandissaient bien vite. Ils ont donc acheté l’église Sante Rita pour en faire un centre d’aide laïc et indépendant. Les premiers mois furent consacrés à rafraichir cette église inutilisée qui avait bien besoin d’être réaménagée.

Miguel devint alors directeur d’une petite équipe déterminée qui animait, avec un groupe de bénévoles, cet organisme sans but lucratif. Il a aujourd’hui deux collaboratrices à temps plein, Mélissa et Edilse. À ses débuts, le centre offrait de l’hébergement à des hommes dans quatre chambres. Il est cependant rapidement apparu qu’il y avait un plus grand manque de ressources pour les femmes. Aujourd’hui, le Centre compte dix chambres réservées aux femmes. Offrant des services juridiques, des services de traduction et une petite friperie aux nouveaux arrivants, le centre a aussi ouvert ses portes à la communauté environnante. Il met une salle d’informatique à disposition du public et offre des cours de langues à tous les adultes. Des activités de loisirs s’y donnent également en collaboration avec les Loisirs Sophie-Barat. Il y a cet automne des cours d’anglais pour les moins de 5 ans, des cours de ballet et de théâtre pour les écoliers et de Zumba pour les ados. L’ancienne salle paroissiale peut être louée. L’école Fernand-Seguin se sert ainsi de ces locaux pour ses activités d’aide aux devoirs.

Le Centre Scalabrini pour Réfugiées et Immigrants compte parmi les partenaires qui se préparent à accueillir des réfugiés syriens à Montréal. Au moment de notre rencontre, Miguel venait d’ailleurs de participer à des réunions à ce sujet regroupant la ministre concernée, des organismes sociaux et des communautés religieuses.

Bien qu’il ne s’y donne plus de messes hormis quelques occasions spéciales, l’église est ouverte à tous pour la prière. Une petite chapelle y est dédiée au culte de Sainte-Rita, Sainte de l’Impossible et patronne des causes désespérées, dans laquelle un groupe de Syriens se rencontre déjà chaque semaine.

L’essentiel de la famille est aujourd’hui québécoise et de plus en plus multiculturelle par les épouses et compagnes de ses fils. Aussi, lorsque je lui ai demandé s’il songeait parfois à retourner au Salvador, il m’a répondu : « Non, je m’y sentirais comme un immigrant dans mon propre pays. Je préfère donc rester chez moi au Québec. » 

Miguel dans l'église Ste-Rita Scalabrini, 655 rue Sauriol est

Miguel dans l'église Ste-Rita Scalabrini, 655 rue Sauriol est

Philippe R. et Christiane D.

Si vous avez déjà lu quelques textes sur ce blogue, vous aurez remarqué que j’ai souvent abordé des inconnus dans des lieux publics. Pour Philippe et Christiane, c’est moi qui les ai contactés. Je souhaitais faire connaissance avec ce couple qui porte à bout de bras un journal communautaire nommé journaldesvoisins.com avec une équipe principalement composée de résidents du quartier. Ce journal est devenu en peu de temps une mine de renseignements sur tout ce qui se passe dans Ahuntsic-Cartierville. Ils ont gentiment acquiescé à ma proposition, demandant simplement que Juanito, leur Golden Retriever et mascotte du journal, soit aussi présent dans les photos. La rencontre a eu lieu dans leur cour arrière, avec quelques pauses pendant le passage des avions. La nuisance occasionnée par le bruit et la circulation nocturne des avions est d’ailleurs une cause qui leur tientparticulièrement à cœur.

Philippe et Christiane se sont connus au Collège André-Grasset, où il étudiait en Sciences administratives et elle, en Lettres. Les deux conjoints sont nés à Montréal. Des membres de leurs familles respectives vivaient déjà à Ahuntsic depuis plusieurs années. À l’université, Christiane a choisi les Sciences politiques, tout en rêvant de devenir journaliste. Pour sa part, Philippe a fait un baccalauréat en commerce à l’Université Concordia, où il a été éditeur photographique du journal étudiant « TheGeorgian ».

Philippe a longtemps travaillé au sein d’un établissement bancaire, occupant notamment des postes reliés aux technologies de l’information. En plus de ses emplois, Philippe a mis sur pied une entreprise qui achète et revend des timbres. Il est d’ailleurs très fier de pouvoir accorder, à même ses bénéfices, un rabais important sur les frais postaux à des organismes de charité. 

De son côté, le parcours de Christiane a connu quelques détours. Plutôt que d’entreprendre une carrière de journaliste à sa sortie de l’université, elle a préféré occuper des emplois permettant une meilleure conciliation travail-famille. Bien que le couple ait eu quatre enfants − et une petite fille aujourd’hui−, il faut dire que Christiane n’avait pas le profil d’une reine du foyer.

Alors que les enfants étaient jeunes, un de ses premiers emplois dans une commission scolaire de Sorel a amené la famille à résider à St-Bruno. Comme Philippe travaillait à Montréal et comme les jeunes étaient actifs, il fallait constamment faire le taxi familial, en plus des trajets vers le boulot. C’est sans doute à cette époque que Philippe est devenu un ardent partisan du vélo et des transports actifs! Dès que Christiane a pu se trouver un emploi en ville, la famille s’est établie pour de bon à Ahuntsic.

Alors qu’elle occupait un emploi en communication dans le réseau de la santé, Christiane s’est vu offrir une indemnité de départ en raison de l’abolition de son poste. Ce mauvais tour du sort s’est cependant transformé en opportunité pour elle. Il lui a permis de consacrer quelques mois à des projets personnels et lui a donné le coup de pouce nécessaire pour devenir journaliste indépendante.

Ce sont initialement des travaux de révision et de rédaction pour une grande banque qui payaient le pain et le beurre. Elle consacrait cependant beaucoup plus de temps au journalisme. Elle a ainsi écrit sur des sujets très variés, allant de l’information de proximité aux grands enjeux de société. Elle a d’ailleurs été une pionnière de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), dont elle a assumé la vice-présidence. Compte tenu de l’emploi du temps chargé de Christiane, Philippe a pour sa part été un pionnier des congés parentaux, tirant parti de chaque progrès des mesures de conciliation travail-famille.

Résidant dans Ahuntsic depuis plus de vingt-cinq ans, les deux époux ont consacré beaucoup d’énergie à leurs passions et à plusieurs organismes de la communauté. Philippe est notamment animateur scout depuis au moins vingt ans. C’est aussi lui qui m’a rappelé un jour en réponse à une demande d’information sur une sortie de groupe du club d’ornithologie local.

Leur Journal des voisins, un organisme à but non lucratif (OBNL), répond par ailleurs à un réel besoin dans la communauté. S’y consacrant aujourd’hui à temps plein, Christiane en est la rédactrice en chef et Philippe en est à la fois l’éditeur, le webmestre et un des photographes, en plus de soutenir le conseiller média et le trésorier.   En tout, près de 20 personnes contribuent de manière régulière ou occasionnelle à ce journal indépendant publié sous deux formes. La première, une page WEB d’actualités locales, est mise en ligne tous les vendredis. La seconde, une version papier publiée chaque deux mois, est maintenant livrée gratuitement à près de 35,000 portes.

L’équipe a d’ailleurs reçu la reconnaissance de ses pairs en gagnant plusieurs prix au congrès de l’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ). Le plus grand compliment leur vient cependant de leur concurrent média, qui a dû améliorer le contenu de son édition locale depuis leur arrivée!

Vous souhaitez en savoir plus? Rendez-vous au http://www.journaldesvoisins.com/

Philippe et Christiane