Kévin G. et Fanny R.

C’est en discutant avec Isabelle P., à qui j’avais donné rendez-vous chez Le Goût des Autres pour un autre article de cette série, que j’ai fait connaissance avec Fanny puis avec Kévin. C’était le lundi après l’Halloween. Isabelle et moi parlions de la Ruelle Hantée, un projet collectif de son voisinage. Fanny, qui était passée par cette ruelle avec ses enfants d’âge préscolaire, s’est spontanément mêlée à la conversation. Comme jeunes parents, elle et Kévin — arrivé un peu plus tard après avoir fait courses et livraisons pour le commerce —, avaient beaucoup  à partager avec Isabelle et de réelles affinités.

Kévin et Fanny sont les propriétaires du Goût des Autres, un service de traiteur qui offre ses services en ligne et à sa boutique de la rue Sauvé, un peu à l’est de la station de Métro. C’est aussi un comptoir de dégustation avec des tables pour une douzaine de personnes. Vous pouvez y commander les plats du jour pour vous faire un bon repas.

Comme ils ont tous deux travaillé dans la restauration, un domaine où les gens sont très mobiles, c’est naturellement dans un restaurant, le Bistro L’Enchanteur dans Villeray, qu’ils se sont connus. Bien qu’ils soient encore jeunes, ils ont tous deux de solides parcours en cuisine et en alimentation.

Kévin est originaire de Bourges, en France. Après ses études, il a perfectionné son apprentissage dans des établissementsgastronomiques en France, à Londres puis à Édimbourg, une ville qui mérite d’être mieux connue. C’est dans cette ville qu’il a fait la connaissance d’une Québécoise avec laquelle il est venu s’établir ici. À Montréal, il a touché à un peu de tout, de la cuisine de grand restaurant à celle du bistro de quartier. Il a donc une solide expérience des recettes québécoises et des ingrédients du terroir. Son dernier emploi, alors que Fanny était enceinte de leur premier enfant, a été chez Milano, une épicerie fine Italienne sur St-Laurent près du marché Jean-Talon. Il y cuisinait des plats préparés à emporter.

Fanny pour sa part, est née à St-Philipe-de-La Prairie, un coin où la culture maraichère se pratique à grande échelle. Elle a travaillé dans un marché de La Prairie et dans une épicerie, puis a fait des études en diététique au CEGEP pendant quelque temps. Elle a continué par la suite son parcours en restauration.

Ils habitent tous deux Ahunstic depuis une dizaine d’années déjà.

C’est avec l’aide de la CDEC et du programme SAJE (soutien aux jeunes entrepreneurs) qu’ils se sont lancés en affaire.

Le Goût desAutres a tout d’abord fait ses débuts comme traiteur dans un local sous-loué, comptant sur leurs contacts, la publicité, l’internet et le bouche à oreille. D’un naturel sociable et sympathique, ils apprécient le contact direct avec leurs clients, une chose qui pourrait être difficile à établir dans des emplois qui les cantonneraient à la cuisine. C’est d’ailleurs en discutant avec une cliente qu’ils ont appris que leur local actuel, qui abritait déjà un traiteur, se libérait. Ils y sont depuis 2014 et y ont déjà apporté des rénovations et l’expression de leur personnalité.

Ce jour-là, ça sentait bon le chili végétarien qui mijotait. Lorsque j’y suis retourné la semaine suivante, à un moment où ils pouvaient souffler un peu, j’ai emporté une portion de terrine de légumes grillés pas mal du tout. L’entreprise offre un menu pour tous les palais qui comporte aussi des platsqui conviennent aux végétariens. Kévin tient à ce que les produits au menu soient variés et de qualité. Il m’a mentionné qu’un publireportage bien fait a été mis en ligne par les Pages Jaunes. Vous y trouverez un lien à la fin de l’article si vous souhaitez en savoir plus.

Au fil de la conversation, j’avais mentionné que mon épouse cultivait depuis plusieurs années un potager assez varié. Fanny m’a alors confié qu’elle souhaiterait transformer la pointe de terrain désaffectée adjacente à leur commerce en potager collectif pour les gens du voisinage. Comme cet espace est propriété de la ville, cela pourrait être un projet pilote intéressant. Elle envisage aussi la possibilité  d’ajouter la vente des légumes frais dont ils s’approvisionnent pour la préparation de leurs plats à l’offre actuelle du commerce.

Maintenant résidents du voisinage, ils déploient une belle énergie pour développer leur entreprise, tout en élevant de jeunes enfants. Je leur souhaite un bon succès : le quartier a besoin de gens comme eux!

Fanny et Kévin devant leur boutique rue Sauvé est

Stéphane T.

Lors du déjeuner mensuel d’une association de retraités de Montréal-Nord, j’avais acheté, des mains de son auteur, le livre « Montréal-Nord raconte 100 ans, 1915-2015 ». Dans ce bouquin, il y avait un signet qui annonçait, pour le lundi suivant, une activité de la Société d’histoire et de généalogie de Montréal-Nord à la Bibliothèque Charleroi. Il s’agissait d’une conférence intitulée « Laissez-nous vous raconter Montréal-Nord ».

Je me suis donc rendu à cette bibliothèque pour y assister parmi un groupe de près de soixante-quinze citoyens. C’est là que j’ai fait connaissance avec Stéphane.

Auteur de cette conférence, il est historien de formation. Stéphane a complété son bac à l’UQAM. Il est à la fois conteur, conférencier, chroniqueur, guide et animateur spécialisé en histoire. Une bonne partie de l’assistance était constituée de gens aux cheveux blancs qui avaient eux-mêmes vécu une importante tranche du centenaire de la municipalité. À l’arrière de la salle, il y avait aussi un groupe de jeunes venus à l’initiative du Centre jeunesse-emploi local.

J’ai rapidement constaté que Stéphane était bien connu de la partie sénior du public et qu’il ne leur passerait pas d’inexactitudes sur les événements des 50 dernières années. Il pouvait cependant se permettre une certaine familiarité avec eux et alterner entre un ton bourru et une attitude humoristique teintée de bonhommie et d’ironie. La conférence se déroula rondement avec de nombreux échanges verbaux avec les participants, qui, dans leur ensemble, étaient captivés et attentifs. Stéphane a même réussi à maintenir l’intérêt des plus jeunes.

Sa conférence commençait par les premières visites des Français à l’Île de Montréal au seizième siècle. Il nous traça les grandes lignes de l’histoire du village et de la paroisse du Sault-au-Récollet à partir du Régime français jusqu’au détachement d’une partie de son territoire appelée « Bas du Sault » pour fonder la municipalité de Montréal-Nord. Pour ceux qui l’ignoreraient, la Rivière des prairies permettait d’avancer plus en amont autour de l’Île que le fleuve, jusqu’au pied des derniers rapides. Ce lieu correspond à l’emplacement du noyau villageois historique du Sault. Comme les demeures, essentiellement occupées par des agriculteurs, étaient éparses le long de ce qui est aujourd’hui le Boulevard Gouin, il subsiste un plus grand nombre de constructions provenant du régime français dans ce secteur de l’île que dans le Vieux-Montréal. Dans le centre historique de Montréal, en effet, la proximité des immeubles a fait en sorte que plusieurs d’entre eux ont été ravagés par de grands incendies ou ont été victimes du développement routier et immobilier.

Stéphane est natif de Montréal-Nord. Il y a fréquenté l’école primaire St-Vincent-Marie Strambi. Il a grandi au sein d’une famille de quatre enfants. La résidence familiale était située à proximité du Centre d’achat Forest, le premier de la municipalité, construit en 1957. Il a cependant passé son adolescence de l’autre côté de la rivière, à Saint-Vincent de Paul, quartier où son père entrepreneur possédait des terrains. Il habite depuis plusieurs années le Plateau Mont-Royal, mais conserve des liens avec les quartiers qui l’ont vu grandir. Il a ainsi collaboré aux activités des diverses sociétés historiques du nord de l’île, de Laval et de la couronne nord. Ses activités vont des soirées de contes aux visites commentées du patrimoine bâti. Certains d’entre vous l’auront possiblement entendu au cours d’activités organisées par Cité-Historia ou pour des groupes privés.

S’il a occupé certains emplois d’animateur et de médiateur culturel dans des institutions, au Musée Dufresne par exemple, il s’est rapidement aperçu qu’il n’était pas fait pour évoluer dans un cadre rigide. Si j’ai bien compris, le côté bourru qu’il affichait par moment au cours de sa conférence n’était pas totalement feint. Il peut parfois avoir mauvais caractère ou, à tout le moins, la tête dure. Travailleur autonome de longue date, il a une prédilection pour les activités qui le mettent en contact direct avec le public et certaines aptitudes de comédien.

Pendant huit ans, il a produit avec un partenaire une émission radiophonique intitulée « Dans les griffes du loup » à CISM 89,3 FM. Il y était question d’histoire et de folklore. À une certaine époque, il a recruté, avec l’aide de travailleurs sociaux, des jeunes de la rue, pour parler ou tenir des rôles dans des saynètes destinées à cette émission.

Stéphane s’adresse à des publics de tous âges. Il fait régulièrement de l’animation pour des groupes scolaires. Les difficiles négociations entre les employés de l’État et le gouvernement libéral, qui est déterminé à imposer son programme d’austérité, le placent d’ailleurs dans une position délicate cet automne.

En attendant que la situation se clarifie, vous pouvez suivre ses activités sur son site WEB. Il anime par exemple cet automne la série de soirées de contes « Attendez que je vous raconte » à la maison Brignon-dit-Lapierre, une résidence historique sur le Boulevard Gouin, tout juste à l’est du Pont Pie-IX. Certains soirs, il y sera lui-même conteur.

Allez-y faire un tour. Vous ne devriez pas vous ennuyer!

Deux côtés de Stéphane

Jocelyne D.

Comme je suis passé régulièrement à la Maison de la culture ce mois de novembre, j’ai remarqué qu’un groupe de dames d’origines diverses s’y rassemble les samedis pour tricoter. Je les ai approchées afin de faire un portrait d’elles à l’œuvre et de trouver une brave qui accepterait d’affronter l’objectif photographique seule. C’est Jocelyne qui fut désignée.

Il se trouve que c’est l’animatrice de ce groupe informel qui ne requiert aucune inscription ni déboursé de la part des participantes. Jocelyne s’était initialement présentée à cette activité de loisir inscrite au programme du Café de Da. Au grand désarroi des tricoteuses, la personne qui dirigeait l’atelier annonça à la séance suivante qu’elle en était à sa dernière journée de travail et qu’il n’y avait personne pour la remplacer. Comme Jocelyne était la plus expérimentée en tricot dans le groupe, elle en devint de facto la nouvelle animatrice bénévole. Depuis près d’un an, les dames se revoient chaque samedi. Elles collent quelques tables ensemble selon le nombre de participantes, qui varie de quatre à douze. Une vingtaine de visages sont passés autour de la table pendant cette période.

Jocelyne a toujours habité à Montréal, à l’exception d’un séjour d’un an à la campagne qui lui a confirmé qu’elle était une fille de la ville. Elle habitait jusqu’à récemment Ahuntsic. Elle a cédé l’an dernier son bas de duplex à sa fille et à ses petits enfants qui ont besoin de plus d’espace qu’elle et habite depuis un condo pas très loin dans Villeray.

Au fil de la conversation, j’ai appris qu’elle a enseigné le cinéma pendant une trentaine d’années principalement au Cégep St-Laurent, mais aussi au niveau universitaire. Elle a enseigné pratiquement tous les cours, de la photographie à la réalisation, en passant par le montage et le laboratoire photo. C’est ce qui explique qu’elle me regardait évoluer avec mon appareil avec un air critique.

Au fil des années, elle a collaboré à diverses activités comme une foire du livre féministe, puis à Silence, Elles tournent, un festival compétitif de film et vidéo de femmes. Tristement, elle était présidente de l’organisme au moment où il a dû se saborder à la suite d’importantes coupures à son financement public.

Jugeant qu’elle avait fait sa part comme enseignante après toutes ces années, elle décida de prendre sa retraite le jour de ses soixante ans, plutôt qu’à la fin d’une session. Elle m’a raconté que le jour dit, elle se présenta au Cégep avec une bouteille de champagne à la main et servit un verre à tous les gens autour d’elle à sa santé! Au cours des années suivantes, elle a écrit un manuel pratique sur la logistique du tournage cinématographique. Avis aux éditeurs intéressés : il est toujours inédit. Par la suite, elle a consacré beaucoup de temps à la famille et aux petits enfants.

Maintenant, elle souhaite prendre plus de temps pour elle-même. Le tricot est pour elle une forme de yoga, sa pratique laissant l’esprit libre. Tout de même, le groupe fait œuvre utile. Leurs travaux de l’automne seront vendus par les Sœurs de la Providence qui achèteront avec l'argent obtenu par la vente des articles qu’elles ont tricoté de la nouvelle laine. Leur espoir est que la plus-value ajoutée à la laine par leur travail leur permettra de faire tricoter plus d'items pour les gens qu'elles aident.

Je ferais tout de même attention à ces dames tranquilles. Y aurait-il parmi elles des Yarn Bombers, ces adeptes du tricot-graffiti qui habillent les arbres et le mobilier urbain de leurs œuvres?

Jocelyne au Café de Da

Julie L.

Parmi les gens qu’on gagnerait à mieux connaitre, il y a nos voisins. Si je cause à l’occasion avec ses parents, Alain et Lucie, je savais bien peu de choses de Julie, sinon qu’elle n’a pas l’usage de ses jambes. C’est une amie, Danièle, qui a suivi mon projet Quartiersnord.photos cet été, qui m’a envoyé un petit courriel me suggérant de la rencontrer. Elle l’a connue au Centre Champagnat où elle a travaillé comme enseignante spécialisée. C’est à ce centre que Julie fait son cours secondaire.

Jeune adulte, elle y poursuit son apprentissage à son rythme. Ainsi, elle peut suivre des cours de différents niveaux selon les matières. Je croyais que Julie avait des difficultés à s’exprimer. En fait, si son élocution demande un peu d’attention, son français est excellent et elle exprime ses idées clairement. Le français est d’ailleurs sa matière préférée. Après l’obtention de son diplôme du secondaire, elle souhaite d’ailleurs  étudier au CEGEP en communications et se spécialiser dans les médias sociaux. Comme deuxième option, elle envisage aussi le travail social.

Elle sera prochainement conférencière au Cégep du Vieux Montréal dans un cours d’éducation spécialisée et représente souvent la Société pour les Enfants Handicapés dans des activités de levée de fonds.

Je l’avais croisée quelques fois dans la rue sur son fauteuil motorisé, lorsqu’elle sortait avec son accompagnatrice préférée et amie, Venyse. Elle se rend assez régulièrement au Petit Flore, un restaurant de la rue Fleury qui lui est facilement accessible, car il n’y a pas de marche à l’entrée. Elle y fait préalablement une réservation et Stéphanie, la patronne, qui l’a toujours bien reçue, lui fait préparer une table apte à l’accommoder.

Elle serait un peu craintive de se promener seule, vue l’état des chaussées et les dénivellations des trottoirs. Par contre, dans la mesure où il y a une station de métro avec un ascenseur dans les environs, Julie se promène un peu partout en ville lorsqu’elle en a l’occasion et qu’elle est accompagnée. Elle préfère les transports en commun aux transports adaptés, car elle s’y trouve plus en contrôle de ses horaires.  Elle a ainsi pu voir les feux d’artifice, visiter la Place Émilie Gamelin et comme toute jeune femme, certaines terrasses.

Plus jeune, elle a étudié à l’École Joseph-Charbonneau, qui accueille des jeunes avec des difficultés motrices sérieuses. Certains d’entre eux ont aussi des déficiences intellectuelles importantes. Alors qu’elle y était étudiante, elle a eu la possibilité de faire de la natation à la piscine de son école grâce à un programme d’Espace Multi-Soleil. Comme elle ne peut se mouvoir qu’avec ses bras, il lui faut de l’aide pour se maintenir à flot. C’est sur le dos qu’elle est le plus à l’aise dans l’eau. Elle m’a expliqué qu’à mesure qu’elle vieillirait, ses mouvements deviendraient plus difficiles. Pour le moment, elle suit des cours de Pilates à la maison. Elle partage la même professeure de M Studio Pilates sur la rue Fleury que sa mère, mais celle-ci adapte un programme aux capacités de Julie.

C’est à l’époque où elle était étudiante à Joseph-Charbonneau qu’elle a fait son plus grand voyage. Accompagnée de son père, elle s’est rendue en Bretagne avec son groupe scolaire. Ils y ont été reçus par des élèves d’une école de la région de Lorient et ont séjourné ensemble dans un camp de vacances à Concarneau.

À cette école, de même qu’au Centre Champagnat, les étudiants viennent de tout le Grand Montréal et même d’aussi loin que St-Jean-sur-Richelieu. Cela fait en sorte que la plupart de ses amis habitent en dehors du quartier. Malgré son handicap, elle a une bonne dextérité et peut taper sur un clavier d’ordinateur pour communiquer avec eux. Je lui ai dit à la blague qu’elle a probablement fait moins de fautes de frappe que moi dans sa vie. En fait, c’est fort probable. Vive les correcteurs de texte!

Elle apprécie beaucoup Ahuntsic où elle vit depuis son enfance, car elle s’y sent relativement autonome. Avec son fauteuil, elle a assez d’autonomie pour faire une balade jusqu’à la rivière. Il se peut donc qu’un jour vous la croisiez dans un parc ou sur la rue Fleury. S’il vous arrive de la rencontrer, prenez le temps de lui dire bonjour. C’est une fille bien sympathique, tout comme ses parents d’ailleurs!

Julie